4  Discussion

4.1 Benchmarking européen

Le dernier rapport de l’OECD Health at a glance 2022 confirme que les arthroplasties de la hanche font partie des interventions chirurgicales non-urgentes les plus fréquentes dans l’Union Européenne (UE). Selon les statistiques de l’OECD, la Belgique est dans le top 5 européen pour les hospitalisations classiques et la proportion d’opérations de remplacement de la hanche réalisées en hôpital de jour est passée de 0,1 % en 2019 à 0,2 % en 2021.

L’incidence est influencée par des facteurs démographiques comme l’âge, le sexe, mais aussi par le système de santé, la puissance économique d’un pays, la disponibilité de la prestation de services médicaux et, de plus en plus souvent, les attentes des patients quant à leur qualité de vie.

En comparant les différents registres européens des pays qui nous entourent (France, Pays-Bas, Angleterre et Suisse), la Belgique est dans le top 2 après la Suisse pour le type de fixation non cimenté (80%) et elle est le leader pour le recours au couple de frottement CoC (55%). Nous abordons ces points dans le chapitre implants.

4.2 L’audit révèle-t-il des différences régionales dans la répartition des clusters en Belgique?

Non pour les séjours avec prothèses totales de hanche dans le contexte de l’arthrose (cluster 2).

Oui.

  • Dans l’indication fracture du col du fémur, les prothèses totales de hanche sont plus fréquentes dans les hôpitaux flamands contrairement aux prothèses fémorales qui sont plus fréquemment placées dans les hôpitaux wallons ou bruxellois.

  • Les séjours pour resurfacing se retrouvent uniquement en région flamande.

  • La majorité des séjours pour prothèses bilatérales se retrouvent en région flamande.

4.3 L’audit révèle-t-il des différences entre clusters selon le caractère universitaire ou non de l’hôpital?

Oui. Les hôpitaux universitaires ont proportionnellement plus de séjours dans les cluster 5 (prothèse fémorale avec fracture), 6 (remplacement de prothèse) et 7 (multiples interventions). Par ailleurs, les hôpitaux universitaires accueillent des patients significativement plus jeunes pour les clusters 3 (PTH pour fracture), 5 (prothèse fémorale pour fracture) et 6 (remplacement). Les arthroplasties bilatérales (cluster 8) et le resurfacing de la hanche (cluster 9) sont réalisées plus fréquemment dans les hôpitaux non-universitaires.

Non, il n’y a pas de différence selon le caractère universitaire pour l’âge dans la PTH (indication arthrose), pour le degré de sévérité, pour le coût du séjour ou le coût des implants.

4.4 Quelles sont les caractéristiques des patients au sein des différents clusters: case mix basée sur le sexe, l’âge, le régime de remboursement des soins (avec ou sans intervention majorée)?

4.4.1 Age et sexe

La proportion des séjours avec les patients les plus âgés se trouve dans le cluster 5 (prothèse fémorale pour fracture). En effet, dans ce cluster, 95 % des patients ont plus de 70 ans et 26 % des patients ont plus de 90 ans. Pour le cluster 2 (PTH pour arthrose), 50% des patients ont plus de 70 ans et 1% des patients ont 90 ans ou plus . Les patients les plus jeunes sont dans le cluster 6 (resurfacing). La plupart des patients sont des femmes. Le cluster C5 et C3 (prothèses pour fracture) sont ceux qui en compte proportionnellement le plus. La littérature confirme ces données: 75 à 80 % des fractures de la hanche surviennent chez des femmes ( [Szczesiul et Bielecki (2021)](Tang et al. 2020)). Le resurfacing est réalisé presque exclusivement chez les hommes.

4.4.2 Comorbidités

Des différences significatives existent entre les hôpitaux pour les enregistrements des comorbidités. Une analyse complémentaire a été réalisée pour comparer les hôpitaux entre eux pour les codes des diagnostics secondaires suivants : BPCO, diabète, HTA, Insuffisance rénale chronique, et obésité. Nous observons des pourcentages d’enregistrements très différents d’un hôpital à l’autre: soit pas de diagnostic secondaire enregistré, soit un diagnostic secondaire est enregistré pour la quasi-totalité des séjours. L’ampleur des différences est importante. Une hypothèse est que cette différence est liée au comportement des hôpitaux en matière de codage.

4.4.3 Intervention majorée

Les patients avec remplacement de hanche pour fractures bénéficient plus souvent de l’intervention majorée que ceux avec arthrose. Pour le cluster 2 (PTH pour arthrose), la variation oscille entre 12 et 38 % des séjours avec intervention majorée. Cette variation est beaucoup plus importante dans le cluster 5 (24 à 70 %).

4.5 L’audit indique-t-il des différences entre clusters et entre hôpitaux pour le degré de sévérité, la durée de séjour et les coûts associés aux séjours?

Oui

4.5.1 Severity of illness (SOI)

98 % des séjours du cluster 2 (PTH pour arthrose) sont répartis en SOI 1 ou 2 de manière équivalente, ce qui correspond aux critères de facturation des soins à basse variabilité. Les SOI 3 et 4 sont proportionnellement les plus représentés (26.5 %) dans le cluster 7 (interventions multiples). Pour les séjours avec fractures, le cluster 3 (PTH) a proportionnellement un nombre de séjours SOI 3 ou 4 plus élevé que le cluster 5 (prothèse fémorale) (17 % versus 12 %). Pour une fracture, une plus petite proportion de patients les plus sévères est dans le groupe prothèse fémorale par rapport aux PTH. Or, les directives NICE recommandent les PTH uniquement pour les patients qui marchent de manière autonome, qui n’ont pas de comorbidités limitantes et dont on pense qu’ils peuvent encore vivre de manière autonome pendant plus de deux ans. Tout autre paramètre étant égal (âge, intervention majorée, case mix), de grandes différences peuvent être observées entre hôpitaux pour le niveau de sévérité du séjour (SOI): ils varient entre 1,2 à plus de 2, en moyenne, pour le cluster 2 (PTH pour arthrose). Une des raisons de cette variabilité pourrait être la qualité des enregistrements des données RHM (par exemple, une sous ou sur-déclaration des diagnostics secondaire).

4.5.2 Coût

Les caractéristiques des clusters expliquent les différences de coût des séjours. En effet, les clusters ont un fort caractère discriminant sur le panier de soins (coûts) du séjour. Le cluster 2 (prothèse totale pour arthrose) a un panier de soins relativement peu coûteux pour tous les composants, excepté les implants. Les implants étant remboursés de manière forfaitaire, les coûts au sein des clusters dépendent principalement du nombre de pièces facturées (par exemple, prothèses de hanche unilatérales ou bilatérales). Les interventions simples avec moins de composants d’implants coûtent donc moins cher. Les différences entre hôpitaux sont relativement faibles. Le cluster 9 (resurfacing) est le moins cher tandis que le cluster 7 (interventions multiples) est le plus cher. Nous n’observons pas de différence significative entre régions pour les coûts des séjours excepté pour le cluster 6 (remplacement). Dans le cluster 6, les séjours sont plus chers dans les hôpitaux bruxellois et selon le caractère universitaire. En comparant les hôpitaux entre eux au sein du cluster 2, la variation pour le coût par séjour est relativement faible. La variation est la plus importante dans le cluster 5 (prothèse fémorale pour fracture).

4.6 La durée de séjour est-elle influencée par certains facteurs?

Il semble que oui.

4.6.1 Introduction

La durée de séjour après une arthroplastie a été considérablement réduite ces dernières années, passant en une vingtaine d’années de 3 semaines à 4 jours voire moins (Migliorini et al. 2020) , notamment grâce à l’introduction de procédures Fast-Track (ERAS) (Tasso et al. 2022) et à l’amélioration du management de la douleur péri opératoire. Une revue narrative (Rele, Dowsey, et Choong 2020) vise à présenter les facteurs multifactoriels modifiables et non-modifiables pré-et péri opératoires qui influencent la durée de séjour dans le cadre d’une PTH. Certains de ces facteurs ont été examinés dans cet audit (ERAS, Patient Blood Management, …)

4.6.2 Clusters

La durée de séjour correspond aux nombres de jours facturés en lit aigu. Même en tenant compte de l’âge, du sexe, du SOI et d’une intervention majorée, il existe une très forte corrélation entre la durée du séjour et le cluster auquel appartient le patient. En effet, les séjours du cluster 9 (resurfacing) sont des séjours très courts contrairement au cluster 7 (interventions multiples) et 5 (prothèse fémorale pour fracture) où les séjours sont les plus longs. Dans l’indication fracture, la durée de séjour est plus longue lors d’un placement de prothèse fémorale par rapport à une prothèse totale. Pour le cluster 2 (PTH pour arthrose), la durée moyenne de séjour calculée selon les journées facturées en lit aigu (non Sp) entre hôpitaux varie de 4 (P25) et 6 jours (P75). La moyenne est de 5.22 jours. La médiane est de 5 jours.

En 2019, une étude en Belgique (Dehanne et al. 2019) a réalisé un benchmarking entre 7 hôpitaux pour la thématique prothèse de hanche (APR-DRG 301; données de séjours exit year 2014). La durée de séjour médiane est de 6,31 jours (P25 -P75 : 4,33-8,82 jours) si le diagnostic d’admission est l’indication d’arthrose chronique. La moyenne est de 9.16 jours. Cette durée de séjour inclus probablement le séjour en lit Sp.

Nos analyses complémentaires démontrent une réduction significative de la durée de séjour :

  • avec l’utilisation de l’acide tranexamique et en l’absence de transfusion (-3.57 %)
  • pour une prothèse totale non cimentée (-4.86%)
  • si le patient est un homme (-5.78%)
  • pour l’année 2020 (année Covid) (-8.5 %) par rapport à 2019

Une étude récente (Chen et al. 2021) confirme la diminution significative de la durée de séjour avant et pendant la pandémie sans compromettre la sécurité des patients.

Nos analyses complémentaires démontrent une augmentation significative de la durée de séjour :

  • avec le couple de frottement MoP (+18.35%) et CoP (+3.95%) par rapport au CoC
  • liée à l’âge (+0.5 j par tranche d’âge de 12 ans)
  • pour un patient avec régime d’intervention majorée (+13.17%)

Les résultats en lien avec le couple de frottement ou le type de fixation doivent être utilisés avec prudence étant donné la qualité du codage RHM observée dans le chapitre implants.

4.6.3 Soins gériatriques

Dans une revue systématique et une méta-analyse (Van Heghe et al. 2022), les soins orthogériatriques ont eu un effet positif (c’est-à-dire une réduction) sur la durée de séjour. Nos résultats sont plus contrastés : tant dans les cas d’arthrose que de fracture, la durée du séjour est significativement plus longue si le patient a bénéficié d’un bilan gériatrique. Il est très difficile de faire la part des choses entre un effet de sélection (gravité plus élevée) ou un effet du traitement (bilan gériatrique).

4.7 Durée de séjour et variabilité interhospitalière

La variabilité de la durée de séjour facturée en lit aigu est importante entre hôpitaux. Différents facteurs ont été étudiés plus en détails.

4.7.1 Enhanced Recovery After Surgery (ERAS)

La réhabilitation améliorée après chirurgie, ou Fast-Track, est un concept introduit par Kehlet et Bardram au Danemark en 1997 pour la chirurgie colorectale (Bardram et al. 1995) puis en chirurgie orthopédique (Munin 1998). C’est un programme pluridisciplinaire et inter métiers qui a pour but de réduire l’impact du stress chirurgical en optimalisant les soins en périodes pré-, per-, et postopératoires. C’est un concept (SFAR 2019) avant tout organisationnel qui vise à supprimer tout ce qui n’a pas de valeur ajoutée dans la prise en charge du patient. L’objectif, en plaçant le patient au centre de la procédure, est de faire en sorte qu’il ne soit hospitalisé que le temps nécessaire. Cette démarche globale correspond à une optimisation des parcours patients. Plus la durée de séjour se réduit (hôpital de jour), plus l’aspect organisationnel est important.

L’introduction des protocoles ERAS en chirurgie de la hanche (et du genou) a permis de réduire de manière constante la durée de séjour à l’hôpital [Morrell et al. (2021)](Abdelaal et al. 2022)(Choi et al. 2022).

Les recommandations ERAS 2019 sont disponibles pour la chirurgie de remplacement de la hanche.

Selon l’audit en ligne, 55% des hôpitaux belges ont mis en place un parcours de soins ERAS pour les arthroplasties de la hanche en 2022. Il existe toutefois une différence significative entre les hôpitaux flamands et wallons : 68 % des hôpitaux versus 36 % avec parcours ERAS.

La diminution de la durée de séjour est présente entre les groupes d’hôpitaux avec ou sans protocole ERAS, mais il n’y pas de différence significative de celle-ci en tenant compte du volume de l’hôpital.

4.7.2 Différences régionales

Par rapport aux hôpitaux flamands, ce sont surtout les hôpitaux bruxellois dont la durée de séjour des patients augmente (+14,86%). La durée de séjour dans les hôpitaux wallons est également légèrement plus élevée qu’en Flandre, mais cet effet n’est pas statistiquement significatif.

4.7.3 Volume d’interventions chirurgicales par hôpital

Dans l’APR-DRG 301, 99 hôpitaux en Belgique sont concernés par au moins un séjour dans l’APR-DRG 301 en 2019. Le volume d’interventions varie entre 10 et 1072 en 2019.

Une étude de 2018 (Malik et al. 2018) montre que les hôpitaux avec un gros volume de chirurgie de la hanche ont obtenu de meilleurs résultats que les hôpitaux à faible volume en ce qui concerne la durée du séjour, les complications postopératoires et le délai avant intervention.

Les résultats des méta-analyses (Mufarrih et al. 2019) montrent que les hôpitaux à faible volume sont associés à un taux plus élevé d’infections du site opératoire, des complications à 90 jours, et du taux de mortalité (à 30 jours, 90 jours et à un an), à une durée de séjour plus longue par rapport aux hôpitaux à haut volume, après une PTH.

Nos résultats confirment ceux observés dans la littérature: le nombre de patients traités annuellement par l’hôpital (HCISize(log10)) en 2018-2019 a un effet significatif sur la diminution de la durée de séjour.

4.7.4 Volume d’interventions chirurgicales par chirurgien

Les caractéristiques au niveau du prestataire, en particulier le volume de prestations du prestataire, ont un impact sur la durée du séjour (Styron et al. 2011) .

Une étude belge de 2011 (Camberlin et al. 2011) a exploré l’association entre le volume de prestations (à la fois institutionnel et des chirurgiens) dans la PTH élective et le taux de complications à court terme. Les chirurgiens effectuant au moins 100 interventions par an avaient un taux de complications moindre que ceux avec un seuil de prestation inférieur.

Une revue systématique (Malik et al. 2018) montre que l’augmentation du volume d’interventions par chirurgien a été associée à une durée de séjour plus courte, à des coûts moindres et à des taux de luxation plus faibles.

Le rapport GIRFT 2015 démontre que 24,1 % des chirurgiens ont pratiqué dix ou moins de dix remplacements de hanche par an.

La littérature suggère qu’en matière d’arthroplastie primaire de la hanche, 35 cas réalisés par an est le chiffre “seuil”, au-delà duquel les complications sont réduites de manière significative (Ravi et al. 2014) .

En Belgique, en 2019, au sein de l’APR-DRG 301, le code de nomenclature correspondant à une prothèse totale de hanche (289085) a été facturé pour 24.081 séjours, par 508 chirurgiens orthopédistes. 64 % d’entre eux ont facturé au maximum 40 interventions/an. 41 % des orthopédistes ont réalisé maximum 12 interventions/an. Par contre, 21 orthopédistes (4 %) ont réalisé 24 % de toutes les PTH.

Le tableau ci-dessous reprend le nombre d’interventions pour PTH (nomen code 289085) en 2019 dans l’APR-DRG 301.

Figure 4.1: Proportion of surgeons and number of interventions (total hip prothesis) by surgeons
  • 001_012 = from 1 to 12 cases per year (max 1 case per month)
  • 013_040 = from 13 cases to 40 cases per year (max 1 case per week)
  • 041_080 = from 41 cases to 80 cases per year (max 2 cases per week)
  • 081_120 = from 81 cases to 120 cases per year (max 3 cases per week)
  • 121_160 = from 121 cases to 160 cases par year (max 4 cases per week)
  • 161_200 = from 161 cases to 200 cases per year (max 5 cases per week)
  • 201_et_+ = more than 200 cases per year (minimum 5 cases per week)

Nos analyses ont confirmé une réduction significative de la durée de séjour pour les chirurgiens avec une expérience (reflété par le nombre d’interventions dans l’année précédente). Les complications n’ont pas été étudiées.