13  Discussion

13.1 Délai entre l’admission pour fracture et l’intervention chirurgicale

En 2021, selon les dernières données disponibles pour la Belgique via OECD.Stat, 90.6 % des patients sont opérés dans les 2 jours calendriers suivant leur admission à l’hôpital pour fracture. La Belgique se classe ainsi au 10ème rang/23 autres pays. Sa position n’a pas évolué depuis 10 ans. Les recommandations de NICE 2011 sont d’opérer la fracture de hanche le jour de l’admission ou le lendemain de l’admission. La recommandation de L’AAOS 2021 est d’opérer la fracture dans les 24-48 heures de l’admission. Cette recommandation est basée sur des études d’observation (Nyholm et al. 2015) suggérant qu’un délai court avant l’intervention chirurgicale est associé à de meilleurs résultats chez les patients qui ont subi une fracture de la hanche (complications, durée de séjour, mortalité). Un délai plus rapide (dans les 6h) que les recommandations Nice ou AAOS a été étudié dans l’étude Hip Attak (Borges et al. 2020) : la conclusion est que la chirurgie accélérée (délai < 6h) ne réduit pas le risque de mortalité ou de complications majeures par rapport aux soins standards.

Les facteurs qui allongent le délai entre le diagnostic de fracture et intervention ont été étudiés dans la littérature. Une étude du BMJ 2017 (Sheehan et al. 2017) montre que les facteurs liés au patient sont l’âge, le traitement anticoagulant, l’instabilité clinique, les comorbidités et le statut socio-économique. Les facteurs liés à l’organisation sont l’admission en dehors des heures ouvrables, la disponibilité de la salle d’opération et le type d’intervention chirurgicale. La Figure 13.1 reprend les différents facteurs qui sont susceptibles d’impacter le délai (time to surgery).

Figure 13.1: Mechanisms proposed for patient and system factors in reviewed articles. Black node indicates the outcome. Square box indicates a measurable mediator. SES, socioeconomic status

Le jour d’admission du jeudi au samedi (Sanz-Reig et al. 2017) est identifié comme un facteur indépendant allongeant le délai de prise en charge, de même que le traitement anticoagulant. Une autre étude en 2020 (Sheehan et al. 2017) montre que les patients admis le jeudi ou le vendredi sont significativement moins bien pris en charge au niveau des soins postopératoires que les patients admis le jour de référence (lundi). Cela semble lié à des différences dans les services offerts le samedi et le dimanche par rapport au reste de la semaine.

Dans nos analyses, nous avons pu démontrer que:

  • dans 70.4 % des hôpitaux les interventions en garde sont assurées par un orthopédiste spécialisé dans le remplacement de la hanche
  • les facteurs qui impactent le plus le délai sont, pour les hôpitaux interrogés en ligne, le traitement anticoagulant et l’état clinique du patient. Une majorité d’entre eux disposent d’une procédure spécifique pour gérer la maîtrise de la coagulation du patient
  • la valeur seuil du délai de maximum 48h est identifié par tous les hôpitaux comme objectif à atteindre
  • pour atteindre cet objectif, un tiers des hôpitaux visités seulement ont accès aux heures d’admission et de transfert vers le bloc opératoire et lorsqu’elle est disponible, cette mesure n’est pas systématiquement utilisée comme indicateur de suivi du délai
  • la plupart des patients sont opérés le lendemain de leur admission mais certains jours d’admission sont moins favorables. En effet, pour une admission le vendredi, un tiers des patients sont opérés au-delà de 48h et 40 % des patients admis le samedi sont opérés à partir du lundi
  • il existe une grande variabilité inter hospitalière notamment pour le pourcentage d’interventions le week-end, le recours à une alternative à un traitement anticoagulant et le choix du type de prothèse.
  • le délai est significativement plus long pour une prothèse totale que fémorale (+0.46 jour)
  • 68 services d'orthopédie sur 98 (69 % des hôpitaux) opèrent plus de 75 % de leurs patients avec fracture dans le délai imparti. 31 % des hôpitaux doivent mettre en place un plan d’action pour attendre ce seuil.

Notre hypothèse est que la variabilité inter hospitalière observée est liée à une politique active de prise en charge dépendante de l’hôpital tant pour le traitement médicamenteux que pour le choix de la prothèse plutôt que liée uniquement au case mix des patients.

13.2 Prothèses fémorales ou totales pour fracture

Le choix de la PTH ou de la prothèse fémorale pour les patients reste controversé. Il n’y a pas de consensus sur l’implant à privilégier lorsque l’arthroplastie est pratiquée (Bhandari et Swiontkowski 2017).

La comparaison entre les différentes prothèses (et techniques) a été réalisée dans une méta-analyse en 2021 (X. Li et Luo 2021). Les avantages de la prothèse fémorale sont un temps opératoire moins long et une perte de sang moins importante, associé à un coût économique plus faible. Les inconvénients sont une incidence plus élevée de douleur postopératoire et une usure supplémentaire du cartilage acétabulaire non traité.

Plus récemment, une revue Cochrane 2022 (Lewis et al. 2022) a également recensé les différentes possibilités techniques dans l’indication fracture. Les différences entre une arthroplastie totale et partielle de la hanche sont faibles et ne sont pas cliniquement importantes. Pour les personnes ayant une prothèse, il est probable qu’une prothèse cimentée produise un meilleur résultat global qu’une prothèse non cimentée. Il n’existe pas de preuves suggérant qu’une prothèse bipolaire donne des résultats différents de ceux d’une prothèse unipolaire (idem AAOS 2021). Pour les prothèses à double mobilité, les preuves disponibles sont limitées.

Les recommandations Nice 2011 (update 2023) sont les suivantes :

  • Proposer une arthroplastie de remplacement (prothèse totale de hanche ou hémi-arthroplastie) aux personnes souffrant d’une fracture intracapsulaire déplacée de la hanche. [2017]
  • Envisager une arthroplastie totale de la hanche plutôt qu’une hémi-arthroplastie pour les personnes atteintes d’une fracture intracapsulaire déplacée de la hanche qui:
    1. sont capables de marcher de façon autonome à l’extérieur avec l’aide d’une canne, et
    2. ne présentent pas d’affection ou de comorbidité rendant l’intervention inadaptée à leur cas et
    3. devraient être en mesure d’effectuer les activités de la vie quotidienne de manière indépendante au-delà de 2 ans. [2023]

La recommandation du choix de la technique est décrite également par l’AAOS 2021: chez les patients âgés correctement sélectionnés présentant des fractures déplacées du col du fémur, l’arthroplastie totale de la hanche peut présenter un avantage fonctionnel par rapport à l’hémi-arthroplastie, au risque d’augmenter les complications.

Lors de l’audit, nous démontrons que le variabilité inter hospitalière en termes de choix du type de prothèse (PTH ou prothèse fémorale) est importante, certains hôpitaux ne plaçant que des prothèses totales et d’autres uniquement des prothèse fémorales. Au-delà de 75 ans, une proportion plus importante de prothèses fémorales sont placées (70% versus 59%).

Les critères de choix identifiés lors des audits reposent sur l’activité physique, l’âge et l’espérance de vie. Une politique de service concernant ces choix existe dans environs la moitié des hôpitaux audités. Pour les autres hôpitaux, il s’agit d’un choix individuel du chirurgien. Or des outils d’aide à la décision existe. En effet, le score de Parker (Parker et Palmer 1993) a démontré son utilité pour prédire la mortalité après fracture de hanche et il a été cité lors des audits. Un autre arbre décisionnel (Kusen et al. 2022) est proposé comme support lors du choix de la technique de chirurgie pour les patients âgés. Un logigramme, selon le type de fracture et l’âge, est également disponible dans un article du NEJM 2017 (Bhandari et Swiontkowski 2017).

En ce qui concerne le ciment, des arguments en faveur du ciment sont disponibles dans la littérature, principalement dans la population âgée : une méta-analyse en 2021 (L. Li et al. 2021) a montré que l’hémi-arthroplastie cimentée est un choix optimal pour traiter les fractures instables du col fémoral chez les patients âgés. L’incidence des fractures péri-prothétiques est également citée dans la littérature (Fernandez et al. 2022) et le registre australien 2017. L’analyse Cochrane en 2022 (Lewis et al. 2022) indique qu’il est probable qu’une prothèse cimentée donnera un résultat global amélioré, en particulier en termes de qualité de vie et de mortalité. L’AAOS 2021 recommande par ailleurs l’utilisation de tiges fémorales cimentées (strong recommendation) dans la population âgée.

Le type de fixation a été étudié dans le chapitre implant. Pour le cluster 3 (PTH pour fracture), la proportion de PTH cimentée, selon les données RHM, est de 24.6 %. Pour le cluster 5 (prothèse fémorale pour fracture), le chiffre est quasi le même : 24.5 %. Les habitudes belges en matière de ciment lors des fractures ne semblent pas correspondre aux standards de la littérature.